Du simple échange d’informations textuelles à l’ère des médias sociaux et des services en ligne, le modèle économique d’Internet a considérablement changé. Le monde numérique est en perpétuelle évolution. Aujourd’hui, nous sommes à l’aube d’une nouvelle « évolution » vers un Internet plus décentralisé et respectueux de la vie privée, similaire à la sédentarisation des « chasseurs-cueilleurs » dans notre histoire humaine.
Après la décentralisation du réseau avec Internet, puis celle de la monnaie avec Bitcoin, nous entrons dans une phase où la décentralisation atteint d’autres aspects de notre vie numérique. Cette progression vers des technologies plus décentralisées constitue une réponse naturelle à des questions éthiques et des défis en matière de vie privée.
Dans l’ère actuelle de l’Internet 2.0, les entreprises agissent comme des « chasseurs-trackeurs » de données, utilisant des cookies, des pixels de suivi et d’autres technologies pour suivre les comportements des utilisateurs. Bien que cela ait permis de personnaliser la publicité et les services, des abus ont également été constatés. Des incidents comme l’affaire Cambridge Analytica, la violation des données de Equifax, la fuite de données d’Adobe en 2013, et bien sûr le scandale de la surveillance de la NSA révélé par Edward Snowden, soulèvent des questions éthiques cruciales en matière de vie privée et de consentement.
La prochaine étape de cette évolution implique un passage vers des technologies plus décentralisées. Des initiatives comme le projet ION de Microsoft, SelfKey, uPort, Civic, et Sovrin sont en train de jeter les bases d’un système d’identification plus autonome et contrôlé par l’utilisateur. Ces efforts s’inscrivent dans un mouvement plus large pour rendre le pouvoir aux utilisateurs et créer un Internet plus sûr et plus respectueux de la vie privée.
En complément à ces identifiants décentralisés, les preuves à divulgation nulle de connaissance (ZKP) peuvent être utilisées pour valider des informations sans révéler d’informations sensibles. De plus, le chiffrement côté client est recommandé comme une bonne pratique pour assurer que les données de l’utilisateur restent sécurisées, même en cas de compromission du serveur.
Bien sûr, cette transition vers une architecture plus décentralisée et des systèmes d’identification plus autonomes n’est pas sans défis. La gestion sécurisée des clés de chiffrement, la récupération des données en cas de perte de clé et les questions de convivialité posent des problèmes importants. De plus, la question de la transmission des données et des actifs numériques en cas d’héritage demeure un domaine qui nécessite des solutions innovantes. Certains acteurs du secteur travaillent déjà à développer des outils pour aborder ces questions, notamment pour la gestion de l’héritage numérique mais qui ne sont pas encore décentralisés 😉.
L’adoption d’un modèle économique plus respectueux de la vie privée pourrait transformer la façon dont les entreprises interagissent avec leurs clients, favorisant ainsi une relation plus durable et équilibrée. Par exemple, au lieu de cibler les utilisateurs avec des publicités intrusives basées sur le suivi de leur comportement en ligne, une entreprise pourrait offrir un système de récompenses en cryptomonnaie pour les inciter à partager volontairement certaines informations. L’adoption de technologies de chiffrement côté client offre un niveau de sécurité supérieur, ce qui pourrait augmenter la confiance des utilisateurs et les inciter à s’engager davantage auprès des entreprises qui proposent ces services.
Avec l’avènement de la Finance Décentralisée (DeFi), l’économie tokenisée s’annonce comme une innovation majeure dans l’ère de l’Internet 3.0. Les tokens, ou jetons numériques, peuvent représenter de la monnaie, des biens immobiliers, des actions, ou même des heures de travail. Dans un monde tokenisé, chaque utilisateur peut véritablement posséder ses biens numériques sans avoir besoin d’un intermédiaire centralisé. Cette propriété est vérifiable et transférable de façon transparente et sécurisée. De plus, l’échange de ces actifs peut s’effectuer dans des marchés décentralisés, réduisant les frais et les barrières à l’entrée.
Les tokens peuvent également servir à des mécanismes de gouvernance, donnant aux utilisateurs un mot à dire dans le développement et les décisions d’une plateforme. Ces systèmes, appelés « DAO » (Organisations Autonomes Décentralisées), sont censés renforcer l’idée d’un Internet plus démocratique et participatif, mais c’est surtout plus pratique.
Le développement d’une économie tokenisée aligne les intérêts des utilisateurs avec ceux des plateformes, favorisant une relation plus symbiotique. Contrairement à l’économie de la donnée où les utilisateurs sont réduits au statut de produits, l’économie tokenisée place l’utilisateur au centre, comme un acteur actif et précieux. L’économie tokenisée pourrait redéfinir notre interaction avec l’Internet, transformant des utilisateurs passifs en participants actifs d’un écosystème numérique plus vaste et plus inclusif.
La transition vers l’Internet 3.0 offre une opportunité unique de repenser notre modèle économique numérique. En combinant les identifiants décentralisés, les ZKP et le chiffrement côté client, nous pouvons envisager un avenir où la « sédentarisation éthique » des relations clients devient une réalité, offrant à la fois des avantages pour les entreprises et un respect accru de la vie privée pour les utilisateurs.
Comme nous l’avons évoqué dans cet article, la transition vers un Internet 3.0 plus décentralisé et respectueux de la vie privée est non seulement possible mais également nécessaire pour répondre aux défis éthiques auxquels nous sommes confrontés dans l’ère numérique actuelle. Cependant, cette transformation ne peut se produire sans une implication collective.
Si vous êtes intéressé par cette évolution et ses perspectives, je vous invite à agir dès aujourd’hui :
1. Éduquez-vous et éduquez les Autres : Le premier pas vers le changement est toujours l’éducation. Il existe de nombreuses ressources en ligne, des cours aux articles académiques, qui peuvent vous aider à mieux comprendre les complexités de l’Internet 3.0.
2. Soutenez les Initiatives de Décentralisation : Si vous avez les moyens, envisagez de soutenir financièrement ou en nature les projets qui font progresser ces technologies. Votre contribution peut faire une réelle différence.
3. Adoptez des Technologies Respectueuses de la Vie Privée : Faites le choix conscient d’utiliser des services qui respectent votre vie privée et encouragent la décentralisation. Votre comportement en tant que consommateur a un impact.
4. Dialogue avec les Décideurs : Prenez contact avec vos représentants politiques, les dirigeants d’entreprise et d’autres décideurs pour discuter de l’importance de la vie privée et de la décentralisation.
5. Participez à la Communauté : De nombreux forums, réseaux sociaux et groupes de discussion en ligne sont dédiés à ces sujets. Votre voix peut aider à orienter les conversations et les actions vers des solutions plus éthiques.
Agir pour un Internet plus éthique et décentralisé n’est pas seulement le devoir des experts en technologie ou des législateurs; c’est la responsabilité de chacun d’entre nous. Faisons en sorte que la « sédentarisation éthique » des relations clients dans l’ère de l’Internet 3.0 devienne une réalité.
A propos de l’auteur
Edwige Morency, architecte systèmes et réseaux, est spécialisé dans les blockchains et les cryptomonnaies.